Projet de loi pour accélérer le nucléaire en France : quelle place pour les énergies renouvelables ?

Mardi 17 janvier 2023, le Sénat a examiné le projet de loi relatif à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites déjà existants. Ce dernier a été largement adopté en première lecture par les sénateurs avec un amendement supprimant le plafonnement à 50 % de la part du nucléaire dans le mix énergétique à horizon 2035. Le but étant, selon le président Emmanuel Macron, de construire six nouveaux réacteurs nucléaires de type EPR 2 avec une option de construction pour huit supplémentaires (soit 14 au total).  

 

Sommaire 

  1. Le contexte géopolitique est-il suffisant pour justifier la relance du nucléaire en France ? 
  2. Gestion des déchets nucléaires : une inquiétude légitime de l’opinion publique ? 
  3. Le risque d’un accident nucléaire à prendre en compte dans le calcul des risques 
  4. Le scénario 100% énergies renouvelables est-il réaliste à l’heure actuelle ? 
  5. Quelle part pour les énergies renouvelables d’ici 2050 selon le plan actuel du gouvernement ? 
  6. La sobriété énergetique : la seule réponse pour relever le défi de la transition écologique 
  7. Choisir comment orienter son épargne pour soutenir le développement des énergies renouvelables  

 

Le contexte géopolitique est-il suffisant pour justifier la relance du nucléaire en France ? 

Ce nouveau projet de loi a pour vocation de répondre aux deux crises majeures qui viennent aggraver la dépendance de notre pays face aux énergies fossiles. D’une part, la crise climatique impose de réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre afin d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. D’une autre, la crise géopolitique liée à la guerre en Ukraine nécessite de revoir les approvisionnements afin de faire face à la hausse des prix de l’énergie.  

Qu’en est-il de nos voisins ? La Belgique a également décidé de remettre en question sa sortie du nucléaire, quant à la Grande-Bretagne, elle prévoit de construire huit réacteurs.1 A contrario, l’Allemagne confirme qu’elle souhaite assurer sa production électrique en se basant uniquement sur les énergies renouvelables d’ici 20352 

Dans ce contexte, l’agence internationale de l’énergie (AIE) déclare que « les énergies renouvelables jouent les premiers rôles dans tous nos scénarios, le solaire en tête. [...] L’énergie solaire photovoltaïque est désormais systématiquement moins chère que les nouvelles centrales électriques au charbon ou au gaz, et les projets solaires offrent désormais une électricité dont le coût est parmi les plus bas jamais vus. Dans le scénario des politiques établies, les énergies renouvelables répondent à 80 % de la croissance de la demande mondiale d’électricité au cours de la prochaine décennie »3. 


Pour rappel et selon
les données de l’ADEME4, les émissions de CO2 par kWh produites en France avec le nucléaire sont de 6g contre 418g pour le gaz, 730g pour le fioul et 1060g pour le charbon. Pour les EnR ; on estime que l’hydraulique produit 6g / kWh de CO2, 15g pour l’éolien en mer, 14g pour l’éolien terrestre, entre 24g et 43g pour les panneaux photovoltaïques (selon leur lieu de conception), 23g pour le biométhane et 45g pour la géothermie.  Il est donc incontestable de dire que le nucléaire et les énergies renouvelables sont peu émettrices de GES. Il faut, cependant, prendre en compte tous les paramètres afin de bien comprendre les enjeux de chaque scénario...  

 

Gestion des déchets nucléaires : une inquiétude légitime de l’opinion publique ? 

 

 

Les déchets radioactifs contiennent des radionucléides dangereux pour l’homme et l’environnement et doivent être traités tout au long de leur durée de nuisance. L'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) est l’organisme chargé de garantir les solutions de gestion pour l’ensemble des déchets radioactifs français. Aujourd’hui, 90 % des déchets nucléaires produits en France disposent déjà d’une filière de gestion en stockage.  

On classe les déchets radioactifs selon leur activité et leur période radioactive. Le niveau de radioactivité détermine l’importance des protections à mettre en place. Il existe une multitude de types de déchets radioactifs dont les caractéristiques sont liées à leurs propriétés, les types de rayonnements émis, leurs caractéristiques vis-à-vis de certains risques (inflammabilité, volatilité, corrosion, dispersabilité, solubilité), etc.  

Les déchets de faible ou moyenne activité à vie courte sont stockés de façon rigoureuse dans un site de stockage de surface. Ces déchets représentent 60 % du total du volume des déchets radioactifs.5 Les déchets de haute activité à vie longue se divisent en deux catégories : ceux qui sont de moyenne activité et ceux qui sont de haute activité. La masse totale de déchets radioactifs de haute activité à vie longue représentant 95 % de toute la radioactivité générée par l’énergie nucléaire en France est de moins de 10 tonnes. Un stockage réversible en formation géologique profonde est à l’étude pour ces derniers. 

L’Andra considère que les quantités de déchets durablement toxiques produits par l’énergie nucléaire « restent faibles en comparaison du service rendu et que leur gestion est sans risque ». Toutefois, des associations militantes comme Greenpeace ne défendent pas le même point de vue et nous rappellent que le sujet est sensible. Ils expliquent notamment que certains déchets ne sont pas comptabilisés par les instances scientifiques car considérées comme « recyclables ». C’est le cas, par exemple, des combustibles utilisés au sein des réacteurs et qui sont stockés sans réemploi. Preuve en est, pour traduire ces inquiétudes ; une récente étude IFOP publiée en janvier 2022 déclare que 46% des Français sont inquiets à l’égard de la production de l’énergie nucléaire contre 54% qui restent confiants.6 

 

Le risque d’un accident nucléaire à prendre en compte dans le calcul des risques 

Si le risque d’un accident nucléaire reste statistiquement très faible, il ne doit pas seulement se réduire au seul bilan sanitaire. Il se traduit aussi par la nécessité d’évacuer les habitants des régions touchées par la radioactivité pour plusieurs décennies. En 2018, on comptait autour de Tchernobyl 40 000 km2 toujours contaminés (soit l’équivalent d’environ 7% du territoire français 32 ans après la catastrophe).7 L’IRSN (L'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire) a d’ailleurs mené une évaluation en 2013 sur le sujet. En prenant en compte, dans le cadre d’un accident nucléaire, les conséquences radiologiques, les pertes économiques, les coûts de relogement des personnes évacuées, le « bad buzz » désastreux pour l’image du pays (la France étant un des pays les plus touristiques du monde), la perte des installations endommagées et la perturbation du parc nucléaire, le chiffre médian s’élèverait à 450 milliards d’euros (dans une fourchette allant, pour les cas les plus graves, à 2000 milliards d’euros), soit environ 20 % du PIB actuel.8 Enfin, la France n’extrayant plus d’uranium sur son territoire depuis 2001, elle reste dépendante des pays où elle se fournit pour être approvisionnée. 

Les inquiétudes militantes et populaires sont donc tout à fait légitimes au sein du débat démocratique et il faut pouvoir les prendre en compte. Nous allons maintenant voir les réalités techniques quant à la possibilité de créer un mix énergétique bas carbone sans énergies fossiles en France pour les prochaines années.  

 

Le scénario 100% énergie renouvelable est-il réaliste à l’heure actuelle ? 

 

 

Dans le contexte actuel, ce scénario reste très complexe à atteindre. L’idée n’est pas de défendre les arguments pronucléaires mais de bien comprendre les enjeux techniques tout en restant pragmatique. 

Les énergies renouvelables sont des énergies intermittentes. Cela signifie qu’elles ne produisent pas d’énergie à la demande ou en continu mais à des moments que l’on ne maîtrise pas. En somme, elles ne sont pas pilotables. Pour exemple, une ferme éolienne produira de l’électricité à condition qu’il y ait suffisamment de vent. De plus, les infrastructures comme les fermes solaires produisent surtout en milieu de journée lorsque le soleil est au plus haut.

Or, les pics de consommation d’électricité se situent souvent le soir ou en hiver, quand le soleil est moins présent. Il est nécessaire pour valoriser avec efficacité les énergies renouvelables intermittentes de pouvoir les stocker, ce qui est, à l’heure actuelle, toujours impossible ou à moindre mesure. Les energies pilotables sont donc nécéssaires pour répondre à la demande actuelle. Or, celles que nous savons piloter sont : le charbon, le nucléaire, le gaz et, dans une moindre mesure, les barrages hydro-électriques.  

Les évolutions technologiques permettront peut-être de changer la donne mais, il reste encore du chemin à parcourir. La gestion de l’intermittence, en créant des interconnexions entre les réseaux électriques de différentes régions ou de différents pays, est une première alternative.

Cela se fait déjà en Europe et permet à certaines zones de compenser les faibles productions des autres. Mais, pour que l’interconnexion des énergies renouvelables fonctionne, il faut que les conditions climatiques soient stables et prévisibles, ce qui est loin d’être toujours le cas. «C’est pourquoi il est utile de disposer de solutions de production d’électricité pilotables qui permettent d’assurer une production électrique de base stable et modulable, afin de faire face aux fluctuations de la production renouvelable ».9 

 

Quelle part pour les énergies renouvelables d’ici 2050 selon le plan actuel du gouvernement ? 

 

 

Le dernier rapport de RTE (Réseau de Transport d’Electricité) publié en juin 202210 propose six scénarios de mix énergétiques allant d’un scénario paritaire entre le nucléaire et les énergies renouvelables (50/50) à un scénario 100 % EnR pour 2050.  

À titre comparatif, le graphique ci-dessous illustre la part du nucléaire dans la production d’électricité en France en 2022. Il est à noter que la part du nucléaire à tendance à baisser d’année en année et que 2022 a été marqué par une année exceptionnellement basse pour le nucléaire. Ce chiffre est lié à une indisponibilité du parc nucléaire sur l’année passée pour cause de maintenances des centrales vieillissantes. Au 29 décembre 2022, 21 réacteurs nucléaires sur 56 étaient à l'arrêt en France contre 16 le 20 décembre 2021.  

 

 

Sur les six scénarios développés par RTE, nous avons décidé de nous arrêter sur le cinquième qui semble être, à l’heure actuelle, la voie choisie par le gouvernement.  Le sixième nous semblait également intéressant car il prouve qu’avec la part la plus importante du nucléaire dans le mix énergétique (50/50), l’accélération des énergies renouvelables semble être la seule solution rationnelle.  

 

  • Cinquième scénario (N2) : construction de 14 réacteurs EPR mais priorité toujours donnée aux énergies renouvelables (scénario visiblement choisi par l’état) 

La trajectoire de développement du nouveau nucléaire considérée dans le scénario N2 passe par un lancement dès aujourd’hui afin de permettre une première mise en service en 2035 au plus tard. Les nouveaux réacteurs nucléaires seraient développés de manière privilégiée en s’appuyant sur des paires d’EPR construites sur des sites existants, afin de bénéficier d’un effet de paires sur la réduction des coûts du nucléaire. Un tel développement du nouveau nucléaire aboutit à porter à environ 22 % la part du nouveau nucléaire dans le mix en 2050, ce qui ne suffit pas à compenser la fermeture des réacteurs nucléaires existants.  

Ainsi, le scénario N2 repose également sur une poursuite du développement des énergies renouvelables selon un rythme proche de celui prévu par la PPE sur les prochaines années. En suivant ces trajectoires, le mix de production électrique en 2050 est composé de 36 % de production nucléaire et 64 % de production issue des énergies renouvelables. S’il semblerait que ce soit le scénario privilégié par l’état suite à l’adoption de la loi pour accélérer la place du nucléaire en France, aucune déclaration officielle ne semble avoir été publiée à l’heure actuelle. Information à prendre avec précaution.  

 

  • Sixième scénario (N03): 50/50 entre le nucléaire et les EnR 

En jouant sur ces quatre leviers, le maintien d’un parc nucléaire d’une capacité de l’ordre de 50 GW est possible à l’horizon 2050 et 2060, soit environ 50 % de la production d’électricité à cet horizon dans la trajectoire de consommation de référence. Ce chiffre constitue un résultat de la construction des scénarios (et non une hypothèse) : il résulte en effet de l’addition des contraintes industrielles portant sur la filière nucléaire, et non d’une contrainte politique.  

En d’autres termes, avec un scénario laissant la place la plus important au nucléaire, il semble impossible de pouvoir dépasser le seuil de 50% d’ici 2060 et ce malgré l’amendement déposé par le Sénat. Le développement de la part des EnR dans un mix énergétique totalement décarboné reste donc la seule solution viable.  

 

La sobriété énergétique : la seule réponse pour relever le défi de la transition écologique 

Nous l’avons vu précédemment, il reste complexe à ce jour de se passer totalement du nucléaire. Mais il est aussi possible d’agir sur nos façons de consommer, de recycler, de nous déplacer et de développer une politique toujours plus ambitieuse en matière d’isolation thermique. Tous les scénarios de RTE envisageant une neutralité carbone en 2050 si la France parvient à réduire sa consommation d’énergie de 40 % (1600 TWh actuellement à 930TWh). Le défi est lancé ! 

Le GIEC, quant à lui, accorde une place délimitée au nucléaire, tout en prenant en compte son utilité au sein du mix énergétique. Dans son dernier rapport publié en mars 202211, il constate que les mesures à prendre d’ici 2030 pour réduire les GES sont incompatibles avec le rythme de déploiement de nouvelles centrales. Point de vue confirmé par la société française d‘énergie nucléaire elle-même.12 La conclusion des scientifiques du GIEC est sans appel : il est impératif de réduire la demande d’énergie, mais aussi les consommations tout en développant massivement les énergies renouvelables.  

Si le débat sur la part du nucléaire reste complexe, celui de la sobriété semble une évidence : consommer ce dont nous avons besoin et évincer le consumérisme superflu tout en allant vers une réduction des inégalités n’est plus une option, c’est une voie rationnelle et soutenable pour l’avenir.  

 

Choisir comment orienter son épargne pour soutenir le développement des énergies renouvelables 

Face aux investissements massifs nécessaires pour financer la construction des nouveaux réacteurs souhaités par Emmanuel Macron, des pourparlers sont actuellement en cours afin de flécher une partie de l’épargne des Français contenue sur les livrets A vers le nucléaire.13 

 

Soutenir le développement des énergies renouvelables grâce à mon épargne


« Dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances 2024, dont le volet dépense a été adopté avec un nouveau 49.3, un amendement avait été glissé in extremis mardi 7 novembre par le président de la Commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale, Thomas Gassilloud (Renaissance, Rhône), afin de « flécher » l’épargne vers les PME-PMI de la base industrielle et technologique de défense (BITD) comptant 4 000 entreprises, dont la moitié est très importante pour les armées » 14.



Pour en savoir plus sur le sujet : Laisser son argent « dormir » peut-il ralentir la transition écologique ?

 

 


Sources :1 https://reporterre.net/Energie-le-Royaume-Uni-parie-sur-le-nucleaire 2 https://www.cleanenergywire.org/news/germany-boosts-renewables-biggest-energy-policy-reform-decades?3 https://www.iea.org/news/world-energy-outlook-2020-shows-how-the-response-to-the-covid-crisis-can-reshape-the-future-of-energy 4 https://bilans-ges.ademe.fr/fr/accueil/authentification5 https://www.sfen.org/rgn/dechets-radioactifs-verite-faits-exactitude-chiffres/6 https://www.ifop.com/publication/lopinion-des-francais-sur-lenergie-nucleaire/7 https://reporterre.net/Autour-de-Tchernobyl-l-effrayant-etat-de-sante-des-habitants-des-zones 8 https://www.irsn.fr/FR/expertise/rapports_expertise/surete/Pages/Rapport-IRSN-PRP-CRI-SESUC-2013-00261_methodologie-cout-accident.aspx#.Y_R_YOzMJhF9 https://youmatter.world/fr/opposition-nucleaire-renouvelable-debat/ 10 https://www.rte-france.com/analyses-tendances-et-prospectives/bilan-previsionnel-2050-futurs-energetiques11 https://reporterre.net/C-est-maintenant-ou-jamais-les-solutions-du-Giec-face-au-chaos-climatique12 https://www.sfen.org/rgn/rapport-du-giec-sur-lattenuation-quel-role-pour-le-nucleaire/13 https://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/exclusif-le-livret-a-en-lice-pour-financer-les-nouveaux-reacteurs-nucleaires-en-france-190491014 https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/11/09/l-argent-du-livret-a-au-service-des-industries-de-defense_6199206_3234.html

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