Quel impact l’éolien offshore a-t-il sur la biodiversité marine?
L’éolien offshore est en plein essor en France, avec plusieurs projets en développement le long des côtes atlantiques, de la Manche et en Méditerranée. Source d’énergie renouvelable majeure, il offre un fort potentiel et participe activement à l’objectif de neutralité carbone. Mais une question majeure s’invite dans le débat public : ces infrastructures peuvent-elles coexister avec la richesse et la fragilité des écosystèmes marins ?
Ses implantations soulèvent des questions cruciales sur son impact environnemental, et notamment sur la biodiversité marine. Quel est réellement son impact sur les écosystèmes ? Et peut-on concilier transition énergétique et préservation du vivant ?
Entre impacts réels, bénéfices émergents et solutions concrètes, cet article propose un tour d’horizon nuancé des enjeux environnementaux liés à l’éolien en mer.
- Une biodiversité marine riche… et vulnérable
- Des impacts bien identifiés
- Des connaissances encore lacunaires
- Des solutions concrètes existent
- Une cohabitation possible, mais exigeante
Une biodiversité marine riche… et vulnérable
Les espaces marins français, tout particulièrement en Manche et en Atlantique, abritent une biodiversité foisonnante : mammifères marins (dauphins, marsouins, phoques), poissons migrateurs (saumons, aloses, anguilles), oiseaux pêlagueux, crustacés et invertébrés benthiques.
Ces écosystèmes marins sont à le fois complexes, interconnectés, et particulièrement sensibles aux perturbations humaines.
Mais cette richesse est cependant mise à mal par le changement climatique, la surpêche, les pollutions, et aujourd’hui par la pression croissante des infrastructures offshore. En effet, des projets se développent parfois dans ces zones, qui constituent des habitats naturels où ces espèces vivent, se nourrissent, migrent ou se reproduisent.
Si ces espèces sont pour la plupart protégées, et de nombreuses zones concernées par les projets éoliens sont classées Natura 2000 ou relèvent de conventions internationales de protection de la faune marine (ZICO, RAMSAR), il est essentiel de comprendre les interactions possibles entre ces installations industrielles et la faune marine.
Quels sont les impacts potentiels de l'éolien offshore sur la biodiversité ?
Construction : bruit, turbidité, perturbations
La phase de construction est la plus critique et génère des impacts notables, notamment à cause du bruit sous marin intense. Le battage des pieux, nécessaire à l'ancrage des fondations, génère des ondes sonores atteignant 230 dB, susceptibles de perturber voire de blesser les mammifères marins. L’augmentation de la turbidité (matières en suspension) peut également altérer les habitats benthiques et nuire à la reproduction de certaines espèces.
Enfin, le traffic maritime est souvent accru lors de cette phase de construction entrainant des bruits chroniques ou des risques de collision avec les cétacés.
Exploitation : bruit chronique, effets réseau et récifs artificiels
En phase d’exploitation, les éoliennes ont des effets plus diffus, voire bénéfiques.
En premier lieu, et en raison de leur taille, les éoliennes constituent potentiellement un obstacle. Il existe des risques de collisions d'oiseaux avec les pales, notamment pour les espèces volant à basse altitude, ou de dérangement pour les oiseaux migrateurs.
Les parcs éoliens produisent également un bruit sous-marin permanent et de faibles champs électromagnétiques (EMF) autour des câbles, sujet à d'éventuels effets sur certaines espèces (anguilles, raies, etc.). Les réactions comportementales de la faune marine restent encore mal connues et peu documentées.
En revanche, les parcs éoliens en mer génèrent des modifications des habitats (positif ou négatif selon les cas). Et parmi les points positifs, on note que les parcs éoliens modifient les écosystèmes marins, avec des effets bénéfiques : leurs fondations, installées sur des fonds meubles, créent un effet récif artificiel. Ce nouvel habitat est rapidement colonisé par des moules, crabes, anémones et poissons, qui viennent enrichir la biodiversité locale et servent de zones refuges.
En Belgique, où des parcs éoliens en mer existent depuis plus de dix ans, les scientifiques ont observé une nette augmentation de la biomasse et de la diversité des espèces fixées, comme les algues et les coquillages.
Il est également possible d'observer un effet réserve : lorsque la pêche est limitée autour des parcs, certaines populations de poissons peuvent se reconstituer.
Démantèlement : retour incertain
La phase de démantèlement des installations est assez peu documentée, mais on comprend aisément qu'elle peut poser problème : les espèces ayant profité de l'effet récif artificiel durant la phase d'exploitation en colonisant les structures, et créant un nouvel équilibre, pourraient alors être de nouveau menacées par leur retrait, provoquant une reconfiguration brutale des habitats.
Que disent les études scientifiques ? Des connaissances encore lacunaires et des incertitudes
De nombreuses études sont en cours, en France et à l'étranger (Belgique, Danemark, Royaume-Uni). Certaines montrent que la faune s'adapte, voire tire parti des structures sous-marines, tandis que d'autres alertent sur les effets cumulatifs, encore mal mesurés, sur les chaines alimentaires ou les comportements migratoires.
Bref, vous l'aurez compris : de nombreuses incertitudes persistent !
Effets à long terme des champs électromagnétiques, impact cumulé de plusieurs parcs éoliens, réactions des espèces rares ou peu étudiées, interactions avec d'autres pressions comme le changement climatique ou la sur-pêche…
Le consensus actuel s'accorde sur le fait que les effets dépendent beaucoup du site, de la conception, et de la gestion du projet. Mais il est certain que les données scientifiques font encore défaut, comme le souligne l’Ifremer :
Nous manquons de données solides sur le comportement des espèces face à ces nouvelles infrastructures. La prudence reste de mise.
Des efforts sont en cours, comme le projet Tethys en Manche, ou APPEAL dans le Golfe du Lion, visant à améliorer le suivi environnemental.
Par ailleurs, l'Ifremer et le CNRS ont été chargés de mener une étude scientifique approfondie sur l'impact des parcs éoliens en mer, tant sur la biodoversité marine que sur les écosystèmes côtiers et marins. Prévue pour durer deux ans à partir de novembre 2023, cette expertise vise à faire le point sur les connaissances actuelles et à évaluer si les enseignements tirés de l'étranger peuvent s'appliquer aux côtes françaises.
Des solutions concrètes existent pour limiter les impacts de l'éolien offshore sur la biodiversité
Pour encadrer ces impacts, chaque projet fait l'objet d'études d'impact environnemental préconisant la mise en oeuvre de mesures concrètes à chaque phase de développement du projet (de l'avant-projet jusqu'au démantèlement ou la reconversion).
Parmi les plus évidentes, on citera la construction en dehors des périodes sensibles pour les espèces, la surveillance acoustique pour prévenir les nuisances sonores, la limitation des zones de pêche autour des éoliennes, ou encore le suivi scientifique avant, pendant et après la mise en oeuvre.
La doctrine "Eviter, Réduire, Compenser", ERC - démarche visant à minimiser à minimiser les impacts environnementaux, est évidemment de mise.
Éviter : choisir les bons sites
La hiérarchisation écologique des zones marines permet de localiser les parcs éoliens hors des couloirs migratoires ou des habitats sensibles. Des outils d’analyse spatiale sont de plus en plus intégrés aux démarches de planification.
Réduire : modérer les impacts
- Réduction du bruit (rideaux de bulles, battage alterné)
Pour atténuer ces effets, les développeurs utilisent principalement des rideaux de bulle autour du site d'installation ou déploient, sur l'ensemble de la zone de travaux, un filet équipé de balles en plastique, limitant ainsi la propagation du son.
Une autre approche consiste à éloigner les mammifères marins avant le début des opérations de battage en émettant des sons d'alarme à l'aide de pingers et de sealscarers.
- Suivi comportemental de la faune par hydrophones et drones
- Horaires d’installation adaptés aux cycles biologiques
Compenser : restaurer les milieux
La création de récifs artificiels optimisés ou la réhabilitation de zones humides peuvent compenser une partie des impacts. Des initiatives pilotes sont en cours, notamment en Mer du Nord.
Une cohabitation durable entre énergie renouvelable et biodiversité est possible, mais exigeante
Face au dérèglement climatique, l'éolien offshore est une nécessité, mais son développement doit s'accompagner d'une vigilance écologique constante. Il n’est pas intrinsèquement incompatible avec la protection de la biodiversité. Il peut même – s’il est bien conçu – créer des opportunités nouvelles pour certains habitats. Mais cela suppose des efforts soutenus : études d’impact rigoureuses, aménagement adapté, suivi long terme, dialogue avec les usagers de la mer.
Cela suppose une vision globale, intégrant la biodoversité dès la planification des projets. C'est le rôle de la planification spatiale maritime française (Documents stratégiques de façade) et de la séquence ERC. Il est possible de concevoir des projets intégrant la recherche écologique dès la planification, de développer des technologies moins impactantes, et évidemment, d'associer les acteurs (scientifiques, ONG, pêcheurs, citoyens) dans une gouvernance partagée.
Alors que la France ambitionne 18 GW de puissance éolienne en mer d’ici 2035, une chose est claire : la transition énergétique ne pourra être durable que si elle est aussi une transition écologique.
“Il est temps d’imaginer une transition énergétique qui ne soit pas seulement verte, mais aussi vivante.”
Chez Lumo, nous croyons que l’épargne citoyenne peut financer des projets qui produisent de l’énergie tout en respectant le vivant. Car une transition énergétique réussie est aussi une transition écologique.
L’éolien offshore n’est pas sans effet sur la biodiversité marine, mais ses impacts peuvent être réduits, suivis, et parfois, transformés en opportunités écologiques. Le défi consiste à concilier urgence climatique et préservation du vivant, dans une approche fondée sur la science, la transparence et la concertation.
Développer l’éolien en mer, oui ! Mais pas à n’importe quel prix. C’est tout l’enjeu d’une transition énergétique respectueuse des équilibres marins.
Il ne s'agit pas d'opposer transition énergétique et protection de la nature, mais d'apprendre à les faire progresser ensemble.
Et comme l'éolien offshore suscitent néanmoins un certain nombre d'idées reçues, consultez notre article dédié pour dissiper les malentendus fréquents qui entravent encore la compréhension de ce mode de production d'énergie : 10 idées reçues sur l'éolien offshore
Sources :
Journal éolien
Polytechnique Insights
RTE France
CNRS
Eoliennes en Mer